GEOGRAPHIE DE L'EQUITATION HORS STADE Mutations et coalescences de sociétés et territoires
INTRODUCTION GENERALE
Contexte Comme Jacques Ellul, philosophe et bordelais, le propose, «penser globalement pour agir localement», nous a paru une bonne démarche. Une grande attention au contexte, à diverses échelles, nous a semblée indispensable dans un monde entraîné dans la spirale du changement. Ce changement va dans une direction donnée par les rapports entre l’Homme et la Nature*. Le sens de ce changement est proposé par une maîtrise intensifiée de l’Homme sur la Nature. La maîtrise des territoires*, la civilisation de l’espace, alimente les histoires des sociétés*. Produit de l’agriculture, le cheval, mythe et réalité de toutes les strates civilisationnelles, cherche sa place parmi la pléthore de moyens modernes de communication* concurrents et témoigne, à sa manière, des mutations* des civilisations. Mais il est concurrencé par la voiture automobile. Médiologiquement, selon Régis Debray, «la bagnole est le symbole fort de la civilisation occidentale du XX ème siècle» : on est sa voiture comme on a sa voiture. Elle a pris le relais du cheval qui, comme le déclarait l’historien du Tenessee, John Trotwood Moore (1858-1929) : «Wherever man has left his foot in the long ascent from barbarism to civilization, we will find the hoofprint of a horse beside it» : Les Romains l’exprimaient autrement, «ante viam, equus» : «avant les chemins, il y avait les chevaux». Cependant, la fin du XXème siècle qui aurait pu connaître l’extinction de la civilisation hippomobile, dans la France* «moderne», a permis la résurgence d’activités équestres grâce à l’émergence des besoins récréatifs de l’homme urbanisé rencontrant la recherche de diversifications agricoles non alimentaires. Les "trois visages" de la France rurale définis par la Délégation à l’Aménagement* du Territoire, DATAR,
peuvent être regardés à travers les équitations qui les animent. Thématique D’après Jacques Lévy, «la maîtrise de l’espace est devenue une composante majeure de la liberté». Au XXème siècle, de nombreux fantasmes de domination de l’espace par l’espèce humaine se sont réalisés. Jules Verne, puis Hergé avaient imaginé le débarquement de l’homme sur la lune. Les américains l’ont fait, avec le vol Apollo 11, le 21 juillet 1969. L’étude de l’équitation itinérante*, à l’aube du troisième millénaire, bénéficiaire de recherches militaires systématiques au XIXème siècle, et, plus spécifiquement, l’étude de sa sublimation sportive*, l’Endurance* équestre, permet d’observer un épiphénomène, signal faible de l’état et du devenir d’une société, où le sport contemporain peut être considéré comme un succédané du sacrifice rituel. C’est aussi un moyen de «poursuivre la politique par d’autres moyens». Nous avons appelé Equitation* hors-stade*, les pratiques sportives de l’Endurance équestre* et du TREC*, en France, sports équestres en aérobie sur longues distances, qui se déroulent essentiellement en dehors des stades*, hippodromes* ou stades équestres, mais qui peuvent les utiliser comme «ports». Ces deux disciplines, sous des sémantiques différentes, ont les mêmes fondements :
Ces deux disciplines participent au phénomène de stadification de la nature. L’observation du système de l’Equitation hors stade, «chemin-cheval-cavalier», doit permettre d’observer les rapports entre des sociétés anciennes et modernes sur un même territoire en observant les rapports de force pour la maîtrise et l’aménagement des territoires dédiés à leurs véhicules, cheval, vélocipède, voiture automobile sans oublier les chaussures. Les sociétés se corrigent mutuellement par essai-erreur, rien n’est définitif. Les dominations*, facteurs de dangers pour la nature, le milieu, la société ou l’individu*, peuvent se retourner. Il y a transaction* chez les individus-sujets*, capables d’alterner, dans le quotidien, la semaine, le mois, l’année, la vie, des situations de dominant ou de dominé. Plutôt que la thèse du choc des civilisations de Samuel Huntington, nous soutiendrons, comme Jacques Lévy, celle qu’ «il existe sur le long terme une tendance forte à la coalescence des sociétés». Cette coalescence*, développement concomitant et interactif, puis fusion hypothétique de deux sociétés mutantes à partir d’une société ancienne a comme finalité un nouveau progrès, par effet d’hétérosis*. Le croisement de deux sociétés aux caractères différents, hétérogènes, permet l’émergence éventuelle d’une nouvelle société homogène plus résiliente. L’interactivité entre deux sociétés peut aussi engendrer deux sociétés nouvelles dotées d’une nouvelle palette de caractères communs. Ce phénomène est un moteur du développement durable. Appliquée au système équestre, cette thèse de la tendance à la coalescence sera corroborée si des sous-systèmes observables au début du XXème siècle mutent et fusionnent confirmant ainsi l’existence ancienne, oubliée même, d’une matrice, «société/territoire», maternante. L’observation de l’Equitation hors stade française doit permettre d’illustrer cette thèse. L’effet d’hétérosis sera vérifié si la coalescence de deux sociétés produit une nouvelle société, plus performante. L’interactivité entre le chemin, le cheval et le cavalier et pour chacun de ces fondamentaux l’interactivité entre les éléments qui les composent permettent de réaliser des performances qu’un individu seul n’aurait pas su, ni même pensé, produire. Il en serait ainsi des plans de développement de sentiers de randonnées équestres, de l’amélioration de l’espèce chevaline, de la sélection d’une équipe de cavaliers. La France est le champ géographique privilégié de notre analyse de ce système, mais des comparaisons dans le système monde avec d’autres pays, sur d’autres continents, sera utile pour apprécier sa problématique. Le tripode chemin-cheval-cavalier, permet d’évoquer terrains*, terroirs* et territoires, de penser aménagement, développement économique et promotion sociale. Le chemin, le cheval et le cavalier sont les trois étages observables du système. La réalité sera bien sûr privilégiée mais il existe pour chaque élément des gradients de virtualité. Il en est ainsi de la Route de la Soie, des Chemins de Compostelle ou des Pistes de l’Ouest en ce qui concerne les chemins. Le mythe du cheval abonde aussi d’exemples ne serait-ce que sur le territoire français : le cheval Bayard des quatre fils Aymon, dans le pays Gaumé, Crin blanc en Camargue, le cheval du roi Gradlon en sa ville d’Ys, le cheval blanc d’Henri IV. Quant aux cavaliers, qu’en est-il exactement des mythes et réalités de Gengis Khan, de Bayard, de Jeanne d’Arc, de Buffalo Bill, de Franck T. Hopkins ? Le Cheval est porteur de rêve : les publicitaires en usent et abusent pour vendre sa rivale mimétique, l’Automobile ! Dans la réalité du début du XXIème siècle, dans le prétendu village-monde, où tout le monde croit se connaître, les sociétés équitantes intéressent les médias. Si des sociétés vivent encore le nomadisme ou le travail* à cheval : mongols, argentins, texans, australiens, néo-calédoniens, il n’y a plus guère en France métropolitaine que la Camargue à entretenir l’image d’une société cavalière, le film Crin Blanc a popularisé un mythe inspiré des idées du félibre baron Falco de Baroncelli qui, apès avoir rencontré Buffalo Bill, en deuxième tournée européenne du Wild West show, en 1905, louait ses chevaux et gardians pour les premiers «westerns camarguais» du cinéma muet. Cependant, les soucis de préservation de la biodiversité redonnent à d’autres terrains, en France, une vocation à l’élevage équin (Henson dans la Baie de Somme, Prejwalski sur le Causse Méjean) et l’extensification agricole où les déprises encouragent les élevages amateurs périurbains. Chéries des médias (péplums, westerns), les cavaleries militaires, défaites par les fils barbelés, l’aviation, l’arme blindée et les mitrailleuses ne conservent guère qu’un rôle de représentation : Horse-Guards en Grande-Bretagne, Ecole de Vienne en Autriche, Ecole espagnole à Jerez de la Frontera, Garde Rouge au Sénégal… La Garde républicaine et le Cadre Noir, en France, contribuent à l’image de prestige de la République en métropole et même jusqu’en Chine : mais, c’est en avion que sont embarqués les chevaux du Cadre Noir pour aller faire une prestation express à Hong-Kong. Les carrosses, diligences et omnibus ont disparu en France avec la 2ème révolution ferroviaire et les péniches, automotrices, ne sont plus tirées par les chevaux. Les débardages sont mécanisés, les tonneaux de bière livrés en camionnettes et les labours se font en cabines tractées, climatisées et stéréophoniques. Cependant, dans de nombreux pays du tiers monde, la traction animale est encore utilisée, mais pour combien de temps ? On y revient parfois quand les conditions naturelles ou économiques sont difficiles dans certaines régions : au Nicaragua, c’est une nouvelle étape du développement, avec des matériels agricoles recyclés par des retraités paysans de Loire-Atlantique. L’avènement de l’Equitation institutionnelle Dès 1889, le président de la Société Hippique Française participait aux initiatives de Coubertin qui organisait une épreuve hippique à l’occasion d’un des Congrès de l’Exposition universelle à Paris. La Société Hippique Française était présente en 1894 au Congrès pour la restauration des Jeux Olympiques et il y eut des épreuves de saut, d’attelage et de polo aux Jeux Olympiques de Paris 1900. En 1905, il y eut une épreuve d’endurance de 80km au cours de l’Olympiade boréale à Stockholm. C’est aux Jeux de Stockholm 1912 que l’équitation moderne classique fit son entrée aux Jeux olympiques. Aux Jeux d’Anvers 1920, une somme d’incidents obligèrent l’institutionalisation de l’Equitation dans le Mouvement olympique. En 1921, les avènements de la Fédération Equestre Internationale, FEI, et de la Fédération Française des Sports Equestres, FFSE, ont permis de développer une équitation sportive, inspirée de l’équitation militaire, autour de trois disciplines «canoniques» (2003, Digard) : Concours de Saut d’Obstacles, Dressage et Concours Complet d’Equitation. Cette première face de l’Equitation moderne a eu un effet dilatoire qui a favorisé quatre décennies plus tard, dans les années 60, l’émergence d’une autre face de l’équitation moderne le tourisme équestre et ses véhicules, les poneys et chevaux rustiques, les bidets, voire les mules et les ânes. Cette équitation alternative* existait naturellement avant 1921. Sa résurgence est un phénomène postmoderniste. Les rapports de force entre les deux faces de l’équitation moderne peuvent alimenter les réflexions sur les rapports de domination qui animent sociétés et territoires de la France contemporaine notamment depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, 1939-1945. La «doctrine de Saumur» en 2004, canonique ou non, était soumise à réflexion lors d’un colloque de l’Ecole Nationale d’Equitation. «Saumur a-t-il eu une ou plusieurs doctrines ?… Quelle signification peut-elle avoir dans le contexte de notre société actuelle en perpétuel changement ?». Les jeux* sont donc ouverts. Depuis 1936, avènement normatif d’une société du loisir* populaire, l’aménagement du temps de travail, la crise économique et pétrolière de 1974 et le chômage chronique qui a suivi les Trente Glorieuses ont redonné à la Nature des fonctions de recréation-récréation* de l’Homme contemporain. Le tourisme est devenu une activité économique majeure dans certaines régions françaises, dans les pays occidentaux en général, et devient l’objet de néocolonisations dans les pays exotiques. En France, le tourisme équestre, après une phase de structuration bénévole s’est institutionnalisé d’abord dans le cadre d’une Association Nationale et régule finalement des formations pour les futurs professionnels dans un cadre fédéral commun aux activités équestres. En Endurance équestre qui est la forme compétitive du déplacement à cheval, la plus répandue sur les cinq continents, postulante au label olympique, certains ont trouvé leur niche professionnelle grâce aux pétrodollars qui ont propulsé l’élevage français du cheval d’endurance après 1996. Un journaliste belge, Léonard Liesens parle même de «French connection» ! Des princes pétroliers, les famille régnantes des Emirats Arabes Unis, Al Maktoum et Al Nayan surtout, ont dépensé tant de fortunes pour acheter les meilleurs chevaux français que l’entraîneur national s’inquiète en permanence pour composer une équipe de France qui n’en demeure pas moins Championne du Monde (2002) et d’Europe (2003), vainqueur de la 1ère Coupe des Nations en 2004. Des éleveurs alternatifs de Bretagne, du Massif Central, des Alpes et des Pyrénées spéculent sur l’avenir de leurs produits comme le font les éleveurs de galopeurs et trotteurs normands. La Basse-Normandie s’intéresse désormais à cette activité équestre. La Fédération Française d’Equitation, FFE, les Haras nationaux (EPA les Haras), la Fédération Interprofessionnelle du cheval, FIVAL, la Fédération Equestre Internationale, FEI et le Comité International Olympique, CIO sont l’objet de manœuvres géopolitiques* ou chronopolitiques. Le microcosme du cheval reflète en fait des phénomènes récurrents de la société globale. La mondialisation, la territorialisation, la patrimonialisation, la géomercatique, la monopolisation, la privatisation, l’éducation, l’extensification… sont autant de champs et d’enjeux de réflexion pour les géographes qui peuvent trouver dans l’observation des espaces et des acteurs de l’équitation itinérante des applications concrètes. D’autres moyens de transport avec des animaux, chiens, rennes, chameaux, éléphants, bovins sont aussi menacés de par le monde par la civilisation du moteur thermique et seraient dignes d’intérêt. D’autres moyens de transport apparus plus ou moins récemment (VTT, 4x4 automobile, ULM, aérostats, quads, voile, planches, rames) font aussi l’objet d’une utilisation récréative ou sportive, où l’hédonisme peut se combiner à une observation géographique in situ et où l’excellence de l’observation géographique est une condition sine qua non du succès sportif. Même l’espace d’une simple carrière aux Jeux Olympiques d’Athènes a pu être déterminant pour la réussite ou l’échec des chevaux.
Problématique En géographie, la coalescence des sociétés est une hypothèse retenue par Marie-France DURAND, Jacques LEVY et Denis RETAILLE : «…Un nombre croissant de problèmes … ne peuvent être compris qu’en appréhendant le monde comme une société. En disant cela, nous ne proclamions pas l’existence d’une société mondiale «complète». Cependant, notre hypothèse, c’est qu’il existe sur le long terme une tendance forte à la «coalescence» des sociétés…Quand les Etats-nations européens se sont construits, ils ont inclus des sociétés plus petites qui leur préexistaient. Ce phénomène d’intégration se reproduit à l’échelle mondiale. Mais, dans un cas comme dans l’autre, le processus est plus complexe qu’il en a l’air. L’unification de la société française a indéniablement diminué l’amplitude des différences entre les Français : un Breton est moins différent d’un Savoyard aujourd’hui qu’il y a un siècle…on peut envisager des processus similaires à l’échelle du monde : une diminution des amplitudes et, simultanément, une réaffirmation sur d’autres bases des identités.»… L’hypothèse de la «tendance à la coalescence des sociétés» peut-elle se vérifier dans le champ de l’Equitation ? C’est la question qui est posée. Réciproquement, s’il y a coalescence dans ce microcosme, cette coalescence est-elle un signe de la coalescence globale et mondiale des sociétés ? En 2004, l’évolution de l’Endurance française est le «signal faible» que nous avons repéré, analysé, en le resituant dans le temps et dans l’espace et à diverses échelles, pour mettre en évidence des changements possibles des sociétés et territoires de pratiques sportives. Par delà le signal des pratiques sportives, ce sont les changements possibles des territoires partagés et des sous-systèmes de la société française que nous avons eu l’ambition d’entrevoir. Longtemps réservé aux chefs, l’équidé permettait aux élites de se rencontrer malgré les éloignements dans l’espace-temps. L’automobile qui s’est substituée aux équidés aurait dû faire disparaître le cheval, symbole fort de la civilisation précédente, par simple obsolescence de celui-ci comme moyen de transport. Le raisonnement matérialiste de la succession de types de force de travail, humaine, animale, éolienne, hydraulique, thermique, nucléaire, solaire n’est pas totalement vérifié. La force de travail du cheval n’est plus indispensable à l’infrastructure économique française alimentée aux énergies fossiles, mais les chevaux n’ont pas disparu pour autant. Alors que les Nouvelles Technologie de l’Information et de la Communication, NTIC, sont en pleine expansion, le nombre de chevaux et de cavaliers ne cesse d’augmenter, en France comme au sein de l’Europe des 15 ou des 25. Au rôle utilitaire et militaire du cheval, s’est substitué un rôle récréatif, ludique mais aussi sportif, ludo-sportif, permettant à l’individu statique de reconquérir des repères naturels dans l’espace et dans le temps, de dépenser des calories devenues excédentaires, de satisfaire aux règles de l’homéostasie nécessaire à sa survie et à son évolution. Esthétique et éthique, le sport contemporain a été rejoint par le monde économique avide de nouvelles conquêtes : «Gold and Glory», «l’argent et l’honneur», les deux G de la mercatique olympique postmoderne, sont aussi des vecteurs des compétitions équestres. Après un siècle d’occultation, l’équitation sur longues distances commence à être reconnue par les élites éloignées. L’Endurance équestre deviendra-t-elle un sport olympique et sur quels critères en supplément ou au détriment des autres disciplines équestres ? Les princes héritiers, généraux, ministres de la défense et régulateurs de la charria, milliardaires arabes*, rejoindront-ils la haute noblesse* et la gentry anglo-saxonne dans la gestion d’une discipline aristocratique que les Européens président traditionnellement ? Les enjeux géopolitiques qui sont traduits par ces questionnements ont pris une importance majeure depuis des événements internationaux, intervenus au cours de notre recherche, sur le théâtre du Moyen-Orient : L’actualité a dépassé la fiction quand des cavaliers afghans et américains ont pris d’assaut Mazar e Shariff ou, plus pacifiquement, lorsque le jeune Ahmed al Maktoum, 16 ans, fils du Ministre de la Défense des Emirats Arabes Unis, Prince héritier et Régulateur de la charria est devenu Champion du Monde d’Endurance 2002 en Andalousie, à Jerez de la Frontera (dernière forteresse arabe sur le sol Espagnol avant la fin de la reconquista). La Reine Sophie (de Grèce), épouse du roi d’Espagne Juan Carlos de Borbon. a remis un trophée à un descendant du prophète Mahomet par la branche fatimide, alors que Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille avaient chassé les arabes Maures du Royaume de Grenade en 1492. Il y a des revanches de l’Histoire qui ont été aperçues dans le Machrek : «Ahmed makes history» titraient les journaux arabes. Il en avait été de même l’année précédente quand les deux frères aînés de la même famille, Rashid et Hamdam bin Mohamed al Maktoum avaient dominé le Championnat d’Europe open organisé en Italie alors que les propos du cavaliere Berlusconi avaient fait prétendre que la civilisation occidentale était supérieure. Mohammed al Maktoum était venu en personne concourir, «veni, vidi, vicit», et avait déclaré comme explication de la performance «le sang arabe coule dans nos veines». Quelques jours plus tard, Mohammed et son frère Hamdan assistaient à la victoire de leur poulain Shakee, à Longchamp, dans le Prix de l’Arc de Triomphe au moment même où les avions américains décollaient pour attaquer les taliban en Afghanistan. Le 31 janvier 2003, le prince héritier de Dubaï a dû savourer le titre du quotidien Gulf News : «It was perfect in many ways» : «In Endurance riding, General Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum, Dubai Crown Prince and UAE Minister of Defence emerged as European champion», en emportant une victoire en Irlande où se situent aussi des écuries de la famille. Le 25 janvier 2005, le Championnat du monde d’endurance était programmé sur son terrain, dans son bled, Dubaï, aux Emirats Arabes Unis. Une confrontation entre trois sociétés équestres déjà détentrices du titre mondial individuel, USA, France et Emirats Arabes Unis était programmée. Pour les Pays du Golfe Persique, la géopolitique du sport est une alternative à d’autres moyens, belliqueux ou terroristes, qui ont la même finalité, un retournement des dominations. Les rivalités mimétiques, chères à René Girard, s’y révèlent pleinement si l’on se rappelle que la Présidente de la Fédération Equestre Internationale, Doña Pilar, est la sœur du roi d’Espagne, Juan Carlos de Bòrbon. Le sport a longtemps prétendu évacuer la politique de sa sphère propre mais le «gouvernement mondial du sport», le Comité International Olympique, tout comme les organismes internationaux rattachés à l’Organisation des Nations Unies, UNESCO, UNICEF, OMC sont devenus des enjeux d’existence et de reconnaissance pour les nations. Ces organismes étaient des faire-valoir pour des hommes politiques ou diplomates en fin de carrière, ils deviennent des champs géoéconomiques. A ce niveau, le sport participe de la diplomatie et de la mercatique internationales. Serait-il un substitut à la guerre ? Claude Roggero s’interroge : «Des compositions béates aux analyses critiques, le sport subit toutes les constructions idéologiques qui le parent de toutes les vertus ou qui l’accablent de tous les maux. Il est temps de comprendre pourquoi il déchaîne tant de passions, et tant de violence.» En géopolitique de l’Equitation, la France cherche à reprendre quelques places à la Fédération Equestre Internationale, FEI, dominée par les anglo-saxons européens, essentiellement britanniques. Ces places se conquièrent par la participation et la cooptation selon des règles de lobbying qui n’affichent pas toujours de contraintes éthiques. Il en est de même à l’intérieur des institutions françaises. La Fédération Française d’Equitation en recevant l’Assemblée Générale de la Fédération Equestre Internationale en avril 2004 espérait bien concrétiser ses ambitions de reconquête : deux français dont Pierre Cazes, spécialiste de l’Endurance, y ont rejoint les bancs des membres de la FEI.
Les enseignements d’Yves Lacoste sur la géopolitique seraient-ils transposables à la sphère du sport ? Un colloque de géopolitique du Sport qui avait lieu à Besançon en 1999 tendrait à le prouver. En tous cas, le sport intéresse les gouvernants : le 8 décembre 2002, à la Cité des Sciences de la Villette, Jacques Chirac, Président de la République et Jean-François Lamour, Ministre des Sports, ont clôturé des Etats Généraux du Sport en souhaitant la création d’une Fondation du Sport destinée à financer «en priorité les projets valorisant le rôle éducatif et social du sport». En France, surtout depuis l’échec retentissant aux Jeux Olympiques de Rome, en 1960, l’Etat est acteur du système sportif. Une dialectique entre l’Etat et la sphère associative a suscité un système fédéral mixte, lui-même aux prises avec les lois du marché libéral. L’Equitation est aux premiers rangs de la dialectique. Le Comité International Olympique, CIO, légataire de l’amateurisme de Pierre de Freddy, baron de Coubertin n’échappe pas à ces lois et doit reformater les Jeux Olympiques pour satisfaire les médias et les sponsors. Dans cette problématique, la géographie du Sport a son rôle à jouer comme outil d’aide à la décision en facilitant et objectivant les connaissances. Le champ de l’Equitation, 4ème fédération olympique en France depuis 2003, d’après le nombre de licences, et «1er sport féminin français» est encore méconnu et se méconnaît lui-même. Les raisons de ces méconnaissances ont-elle un sens ? L’Equitation elle-même a-t-elle un sens dans la société du XXIème siècle ? C’est à cette question que nous tentons de répondre avec une entrée géographique après que des historiens, sociologues et ethnologues aient balisé le champ. L’équitation hors stade, «alternative», est–elle en train de déstabiliser l’hégémonie de l’équitation sportive classique, «canonique» ? Si oui, quels sont les aménagements qui peuvent être envisagés pour satisfaire cette nouvelle demande sociale ? Jean-Pierre Augustin signale la primauté de l’équitation dans la sémantique du sport : «le mot «desport», après avoir été importé par la chevalerie en Angleterre se transforme en «disport» au XIV ème siècle puis en «sport»». Le chasseur est un sportsman en Grande-Bretagne et, en Espagne, le sport se nomme deporte. En s’interrogeant sur les sports, il convient donc de ne pas oublier l’Equitation, héritière de la chasse à courre, «La chasse à courre était la plus noble, la plus dispendieuse, la plus inaccessible au vulgaire ; elle offrait quelques petits dangers, des occasions de chutes et de blessures : c’était par suite le meilleur desport de tous.». L’Equitation, par tradition, clôturait les Jeux Olympiques. La Fédération Française d’Equitation, malgré ses tensions internes chroniques, régule la quasi-totalité des activités équestres, à l’exception des courses hippiques. Elle peut être un champ d’observation privilégié de l’évolution des problèmes fédéro-sportifs, des relations du mouvement sportif avec la tutelle du Ministère chargé des Sports. Les rapports entre les classes sociales s’y révèlent pleinement. Méthodologie A - Définition d’un champ d’observation Nous avons retenu comme thème l’Equitation hors stade française parce qu’elle est l’objet d’un développement quantifiable en France grâce à sa forme sportive, l’Endurance, qui est un indicateur de son développement et de sa pérennisation. Etonnant voyageur*, le cheval connaît les cinq continents et les chevaux français ont besoin d’une clientèle étrangère pour se perpétuer. Une vision élargie de la France s’est imposée pour mieux appréhender l’avenir mais le modèle français est suffisamment dense et structuré pour suffire à alimenter la recherche dans le cadre d’une thèse. B - Choix de la recherche systémique Le structuralisme ne permet plus de comprendre et surtout d’anticiper les phénomènes de sociétés de plus en plus complexes et mouvantes ; la systémique peut apporter une aide à cette appréhension. La géographie, discipline au carrefour des sciences, peut faciliter l’approche systémique. Ceci ne la dispense pas, en tant que science autonome, de structurer une recherche. La Géographie du Sport peut être un outil d’aide à la décision politique que l’activité sportive, phénomène éminemment contemporain et universel a tout intérêt à intégrer. Le champ du sport envahit les rues, les sommets, les sous-sols, les plages, les fonds sous-marins, les forêts, les déserts et jusqu’aux chemins vicinaux. Le problème du maintien d’un réseau de chemins cohérent dans un monde rural ou rurbain en mutation permanente, est peut-être le facteur limitant pour le redéploiement d’une équitation itinérante émancipée des règles induites par la circulation automobile au XXème siècle. Une approche géographique physique des lieux a d’abord été faite. L’Equitation fait appel à deux athlètes partenaires, un homme et un cheval. Ce transport devenu sport est aussi régulé par les organismes agricoles. Les armées ayant abandonné leur rôle historique dans l’Equitation, le Ministère chargé de l’Agriculture perpétue désormais ses rapports de force interministériels avec son collègue des Sports et, phénomène récent, la puissante Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles, FNSEA, ne délaisse plus la production multifonctionnelle du cheval. L’heure est à l’Interprofession dans le cadre fiscal agricole. Les ressources de la géographie rurale ont donc été sollicitées. L’observation de l’Equitation hors stade, en France, au début du troisième millénaire a emprunté à plusieurs géographies, la géographie des sports et de l’aménagement et la géographie rurale d’abord ; mais, la géographie historique, la géographie humaine, la géoéconomie, la géopolitique, … celle de la ville ou du littoral ont été concernées. |
C - Choix des matériaux La géographie française n’a pas beaucoup traité de l’équitation, les thèses sont très rares. Le champ n’est cependant pas très neuf, car arpenté davantage par les sociologues comme Vérène Chevalier. Les ethnologues, comme Jean-Pierre Digard, et les historiens, comme Daniel Roche, s’intéressent aussi aux rapports du cheval avec les sociétés, en dehors des pratiques aristocratiques qui sont mieux connues. a - Thèses et travaux de recherches Muriel Robert a soutenu, en 1994, à Caen, la Thèse «Le cheval : de l’agriculture au tourisme. Le tourisme équestre en Basse-Normandie. Etude d’un système spatial.» Rafaelle Rivière à Toulouse a traité aussi du tourisme équestre en 1995 : Le Tourisme Equestre, Contribution à une recherche sur les potentialités et les difficultés d’une profession de loisirs en espace rural. D’autres sont en cours à Montpellier et Grenoble et portent sur les pâtures. La Mission du Patrimoine Ethnologique du Ministère de la Culture* a lancé une recherche intitulée «Chevaux de trait : le retour ? Atteleurs, compétition et tradition» qui s'inscrit dans le programme «Tradition», sous-programme «Relance et revitalisation», dans le prolongement des travaux de Bernadette Lizet. Une thèse de doctorat de l'Université de Paris III Sorbonne était également publiable en 2003, soutenue par le président de la commission fédérale d’équitation portugaise : Naissance et Renaissance de l'Equitation portuguaise – approche historico-linguistique de la Civilisation du Cheval au Portugal du XVème siècle au XVIIIème siècle. Il s'agit d'une synthèse de l'art de l'équitation au Portugal. Au Collège de France, le professeur Daniel Roche a donné un cours sur l’utilisation du cheval de la Renaissance à la fin du XIXème siècle rediffusé sur France-Culture. Jean-Pierre Digard, Directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’ethnologie de l'Iran s’intéresse au nomadisme, tribus, ethnies, élevage, pâturages, et utilisation des animaux. Le cheval tient une grande place dans ses préoccupations. Françoise Aubin, ethnologue, s’est intéressée au cheval en Mongolie. Vétérinaires et agronomes ont produit nombre d’études sur le cheval. Les Professeurs Tisserand à l’ENSAA de Dijon et Wolter à l’Ecole Vétérinaire de Lyon ont étudié l’alimentation du cheval. Les enseignants de l’équitation, BEES2 et l’Ecole nationale d’Equitation produisent des études généralement consacrées à l’ergologie mais aussi aux sciences de l’éducation. Les élèves ingénieurs agronomes ou vétérinaires et les Professeurs de l’ENE ont constitué un corpus utile mais hétéroclite. Des mémoires de DEA existent mais ils sont difficiles à repérer. La Bibliothèque de l’Ecole d’Application de l’Arme Blindée et de la Cavalerie à Saumur, EAABC, possède la collection de la Revue de la cavalerie qui est la référence par excellence de l’histoire des débuts des sports équestres. Les Journées de la Recherche équine sont une occasion de faire le point. La recherche vétérinaire y est la plus présente. En 2004, pour la 30ème Journée de la Recherche Equine, nous avons pu proposer une contribution. En 2003, le Collège de France organisait à Paris, avec l’aide de la Fondation Singer-Polignac, un colloque sur le thème du «Cheval de loisirs». Emmanuelle Bour, Directrice de l’EPA «Les Haras» y ouvrait la séance en annonçant l’intention de l’établissement public, technicien, de s’intéresser davantage aux sciences humaines pour éclairer ses décisions. En 2004, au Sénat, un colloque intitulé «Le cheval, force du monde rural» était aussi organisé. b - Littérature grise La littérature grise, celle de la presse, des brochures, des livres, des périodiques est surabondante. Elle a fait l’objet d’une veille médiatique. C’est un segment de marché porteur. Des éditions sont spécialisées sur le thème de l’équitation chez Favre avec Jean-Louis Gouraud et chez l’éditeur Lavauzelle, par exemple. Actes Sud commence une collection. Parmi les périodiques que nous avons le plus parcourus il faut citer L’Eperon, Cheval Magazine, Cheval Pratique, Cheval Santé, Cheval loisirs, Cheval Arabe, Endurance News, et toute une somme de magazines opportunistes ou éphémères. Mais, c’est la consultation de la collection d’une revue disparue, Plaisirs équestres, dont la collection est à l’ENE, qui nous a apporté les clés les plus probantes pour expliquer, en remontant le temps, les difficultés contemporaines de cohabitation entre des activités équestres. La Revue de Cavalerie nous a permis de mieux comprendre l’insertion du sport dans l’éducation militaire. La presse généraliste, économique ou sportive, internationale, nationale, régionale a fait l’objet d’une veille qui a parfois apporté des éclairages externes de l’image de l’Equitation. Ainsi Le Monde et l’Equipe ont été régulièrement consultés. Un hebdomadaire baulois disparu, La Mouette, retrouvé aux archives départementales de Loire-Atlantique nous a aussi apporté des positionnements historiques de l’équitation. Le quotidien arabe émirati, Gulf News, grâce à Internet, a fait l’objet d’une lecture quotidienne en anglais pendant 4 ans. La presse écrite s’allie de plus en plus avec les médias télévisés, comme Equidia chaîne spécialisée pour les courses et les activités équestres et avec les sites web comme Cavadeos, Equiwa. Le caractère éphémère de leur médiation pose problème : deux sites web, Equivista et Sport-complet (Paris-Turf) ont ainsi disparu au cours de notre recherche. L’Association Nationale de Tourisme Equestre, ANTE, reformatée à l’occasion de la réforme fédérale en Comité National du Tourisme Equestre, CNTE, peut aligner une série de périodiques, L’Estafette depuis 1983 et un catalogue Tourisme Equestre en France depuis 1989. Ces sources d’archives mériteraient une attention particulière car les déménagements nombreux de la structure ne garantissaient pas la concentration. Il aura fallu une enquête et des entrevues, par exemple, pour reconstituer en 2001 la simple liste chronologique des Rallyes Nationaux de Tourisme Equestre ou Equirandos. La biographie du président fondateur, Raymond Marcel Henry avait été oubliée par la nouvelle génération aux affaires. c – Statistiques De surcroît, la pauvreté des traitements statistiques est patente : alors que la Fédération Française d’Equitation, FFE, a un excellent suivi des disciplines olympiques, Saut d’Obstacles, Dressage, Concours Complet, elle ne savait presque rien, statistiquement, de l’équitation itinérante. La disparition du CNREE a permis, par défaut, de mesurer l’ampleur du travail accompli par cette association. C’est ainsi que la FFE ne savait rien en 2003 de ce qui s’était passé en régions en l’an 2000, année de l’après-tempète, année de la victoire aux trois médailles au Championnat du Monde à Compiègne, année aussi de la faillite du CNREE, victime de l’hawallah et des déboires financiers de la Délégation Nationale des Sports Equestres présidée par Pierre Domenech en la suite de Pierre Durand, champion olympique, bordelais. Danièle Lambert, responsable de la Revue Equestre Fédérale, REF, s’inquiète du traitement qui devrait être fait des séries statistiques qui s’accumulent. d – Observation directe L’insertion dans le milieu équestre à l’occasion du CEIO**** de La Baule, en 2003 et 2004, nous a permis de remonter une filière de témoins qui a abouti finalement et de manière imprévue à Saumur. Le Centre de Documentation de l’Ecole Nationale d’Equitation par la collection de périodiques qu’il possède a été déclencheur d’un éclairage inédit de la genèse du tourisme équestre et de l’endurance en France que nous avons pu restituer au cours du colloque «Saumur, la doctrine» les 5 et 6 juin 2004 et compléter à la bibliothèque de l’Ecole de l’Arme Blindée Cavalerie. Nous n’avons pas pu ou su contacter des acteurs oubliés comme Jean Lucas, Michel Bordes, Michel Bicheron, Roland Blaise et nous le regrettons. Nous nous félicitons des entretiens téléphoniques avec des témoins, Anne Raymond-Henry, Henri Blanc, Luc Demontal, Jean-Marie Laudat, Jean Spruytte, Philippe Jacquelin, Christiane Chazel, Yves Richardier, Daniel Bertrand, Pierre Passemard, Denis Letartre, René Chambon, les écuyers en chef Général Pierre Durand et Colonel Loïc de la Porte du Theil qui ont éclairé les méandres de nos recherches «historiques» sur l’Endurance. La liste des acteurs contemporains rencontrés est trop vaste pour être citée. D - Choix de la Recherche-action L’équitation itinérante et hors stade, en France et dans le monde, est méconnue et se méconnaît. C’est en interactivité avec la base des cavaliers et organisateurs, presque tous internautes, que nous avons pu trouver réponse à une question occultée : «Quid de l’Equitation hors-stade ?» a – Enquètes et restitutions cybernétiques Les sites «web» spécialisés sur le tourisme équestre et l’endurance, souvent à caractère privé commercial ou à caractère public régional, se développent mais restent souvent statiques. Le plus dynamique qui figure dans le top-ten des sites de sport, avec 25 000 connections dès sa première année, 54 000 en deux ans, est celui de l’Association des Cavaliers Français d’Endurance, ACFE, Top-endurance. net, avec lequel nous avons établi un partenariat qui a permis de réaliser des enquêtes dites impossibles ou trop coûteuses par la FFE. Les calendriers exhaustifs par département jusqu’aux résultats des épreuves par région en 2000, 2001, 2002 ont été réalisés par nos soins, nécessitant environ deux semaines de contacts par courriels. La consultation et le questionnement sur le forum de l’ACFE nous ont aussi apporté des réponses inédites comme la découverte des coordonnées de Jean Spruytte, à Vinon dans le Haut-Var, 84 ans, initiateur en 1965 de la première endurance équestre officielle. Les statistiques agrégées par nos soins ont été restituées «sans stocks, sans délais et sans coût» au point de faire l’objet de plagiats. Nous avons même reçu nos propres travaux lors de demandes d’information complémentaires. La sollicitation pour une étude sur l’image de l’endurance dans le cadre du Conseil d’Orientation Scientifique et Technique des Haras, COST, n’a pu être honorée en raison de la concomittance avec la fin de la Thèse. L’application des Nouvelles Techniques d’Information et de Communication, NTIC, dans un système de démocratie participative est redoutablement efficace. Certains notables ne croient toujours pas à ce nouveau média et travaillent durement à communiquer dans un cercle amical, entre-soi, de plus en plus restreint. En quatre ans, un réseau de correspondants régionaux s’est constitué mais le communautarisme a été volontairement évité par souci permanent d’objectivation. L’utilisation de ces NTIC a permis une somme de croisements de données et en tout cas d’anticiper sur les données officielles, fournies souvent trop tard, après que des décisions simples, comme les règlements, les montants des inscriptions, les dates d’épreuves aient été prises à une échelle éloignée du lieu d’application et susceptibles de freiner un développement régional. b- Réseau des Comités d’Endurance Equestres Régionaux C’est grâce au réseau des Comités d’Endurance Equestre Régionaux, CEER, que le centralisme fédéral n’a pas réussi à complètement désorganiser, que nous pouvons produire des travaux inédits qui situent, par exemple, l’Endurance au 2ème rang des disciplines équestres en France en nombre de pratiquants et de concours. La France est apparue aussi aux mêmes valeurs absolues de partants que les Etats-Unis soit au meilleur niveau mondial pour l’équitation hors-stade en densité de pratique. Le TREC, par principe, a fait l’objet d’une enquête par les mêmes méthodes cybernétiques mais, le CNTE disposant d’un personnel qualifié, nous lui avons laissé le choix de poursuivre la démarche. Nombre d’exemples ont été pris dans l’Ouest Atlantique, en Pays-de-la-Loire et Bretagne particulièrement, deux régions de proximité. Normandie, Ile de France, Lorraine, Franche-Comté, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Aquitaine, Poitou-Charente, Centre-Val de Loire ont fait l’objet d’études de cas, in situ. C’est en Pays de Redon et de Vilaine qui cumule l’inconvénient et l’avantage d’être «à cheval sur trois départements et deux régions», (Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique et Morbihan ; Bretagne et Pays de la Loire) qu’un suivi dans le temps et dans l’espace a été le plus accompli. Le Midi, berceau des activités équestres hors stades et de l’élevage associé a fait cependant l’objet d’une attention particulière par des entretiens nombreux avec les acteurs ; les visites de terrain auraient mérité plus de moyens. c - Evènementiel Les visites aux grands évènements, Concours Internationaux, Championnats de France, Equirando, Salon du Cheval, Assemblées générales, Assises, Forums, Colloques, réunions, stages divers et la participation fréquente «le cul sur la selle» ont permis de vérifier auprès des acteurs et du terrain la véracité des statistiques comme des phénomènes qualitatifs. Le facteur limitant de ces études de terrain pour l’observation directe a bien sûr été l’allocation financière qui pouvait y être consacrée. E - Les limites de la recherche-action Il est souhaitable d’étudier un objet géographique sans y être impliqué. C’est objectivement meilleur. Ce type d’objet est de plus en plus difficile de trouver sur notre planète, l’œkoumène s’est agrandi, les migrations et les mobilités sont plus faciles. Le risque de l’implication est évidemment celui de la subjectivité, de la projection de ses propres représentations. De Braudel, étudiant la France, à Levis Strauss, pratiquant la «participation observante» chez les primitifs, le problème est récurrent en sciences humaines. Max Weber préconise de prévenir le lecteur en affichant le système de valeurs qui risque d’influencer les jugements de l’auteur. Il faut se méfier de soi-même et être d’autant plus rigoureux qu’on peut-être passionné. Nous nous y sommes efforcé sous la surveillance attentive du directeur de thèse prompt à redresser les exubérances comme les raccourcis. Sans la passion et l’expérience d’acteur, il est probable que la productivité de l’auteur eut été moindre et l’observation plus superficielle. La restitution systématique des informations en conférences, comme sur le web, a permis de s’assurer de données validées par les acteurs eux-mêmes et a parfois fait l’objet de débats quand la réalité des chiffres ne correspondait pas à la représentation que s’en faisait l’acteur. Telles cavalières ont ainsi découvert qu’elles étaient sous-représentées dans les institutions, telles régions se sont aperçues qu’elles étaient victimes de topocentrismes. La Commission fédérale nous a demandé un tableau de bord de l’endurance équestre qui a été validé par les représentants des régions en décembre 2003 et les statisticiens du GICE ont demandé la publication des résultats. Pendant trois années, la recherche doctorale a comblé une carence institutionnelle : le fonctionnement amateur de l’observation du phénomène sportif est significatif voire symbolique d’un phénomène minoré dans la société française. La restitution n’est pas d’une neutralité parfaite : on pourrait la qualifier de neutralité active, à comparer avec la neutralité passive qui consiste à tout garder pour soi. Nous avons essayé d’être utile et, en tous cas, comme le demande le serment d’Hippocrate aux médecins, de «ne pas nuire», privilégiant l’intérêt des acteurs de la base, parfois rebelles ou fatalistes parce que sous-informés. Des journalistes ont aussi été friands et nous ont fait bénéficier en retour d’informations utiles. F - L’approche géographique : une nouveauté pour l’Equitation Les statistiques fédérales était classiquement présentées sous forme de tableaux et de commentaires mais l’utilisation de la carte était pratiquement absente de l’organe officiel, la Revue Equestre Fédérale, REF. Sollicité, nous avons apporté une contribution à plusieurs numéros. Les responsables élus ont été sensibles à la cartographie de leurs territoires. Un travail d’éducation peut se poursuivre : sans mettre en doute les compétences géographiques de nos compatriotes, il n’était pas sûr qu’ils soient tous en mesure de différencier, dans leurs images mentales, Limousin et Midi-Pyrénées par exemple et de comparer automatiquement les masses de régions hétérogènes, il en est ainsi de pas mal de décideurs. Certains se décourageaient tandis que d’autres responsables régionaux arboraient avec fierté des masses de participants dues essentiellement à l’étendue de leur territoire. La cartographie rêvée eut été celle à l’échelle des pays car susceptible de couvrir au mieux le capital spatial* des cavaliers mais elle n’est pas encore stabilisée. Le département a donc été retenu comme élément de base de la cartographie d’un Atlas de l’équitation, préalable à une recherche qualitative. Les régions ont parfois été retenues pour les enquêtes de participation car des statistiques antérieures étaient agrégées à cette échelle. Une approche par «macrorégions» ou «interrégions» a été osée. Des politiques de développement adaptées aux situations de terrain peuvent être envisagées à partir de cette cartographie. La Société organisatrice des Concours Hippiques Internationaux de La Baule a sollicité notre concours pour la conception du parcours d’une épreuve internationale, répétition d’un Championnat du Monde le 10 mai 2003 et. le Comité d’Endurance Equestre des Pays de la Loire nous a permis d’animer un groupe de travail pour la conception d’une épreuve internationale dans le Saumurois, mais le projet n’a pas abouti. Ces actions de terrain nous ont apporté une somme d’informations qui ont pu être resituées dans la problématique de la Thèse. Les divers acteurs étaient informés de la démarche et certains, très ouverts, anticipaient sur les questions. D’autres, au contraire, ont su faire de la rétention d’information apportant ainsi un signe de plus à notre information. G - Choix de la représentation cartographique Le texte n’est pas toujours le mode de représentation le plus adéquat pour expliquer une complexité. L’image permet de communiquer plus rapidement un plus grand nombre d’informations. Pour le géographe, la carte est bien sûr l’outil de référence mais les graphes et les schémas sont aussi des moyens de modélisation systémiques tout aussi utiles. Autant que possible nous avons donc essayé de présenter les systèmes en représentation graphique. Réciproquement, l’étude des représentations graphiques d'un système, à différentes dates, par différents organismes permet de voir évoluer l’image du système, les variations de ses contours géographiques en tous cas. L’iconographie et d’autres médias ont pu aussi compléter cette représentation. H - Le risque de la prospective Dans un monde qui s’adapte, les changements peuvent aller très vite. Les contraintes économiques, sociales, écologiques, militaires, médiatiques peuvent modifier des systèmes. Nous avons essayé de repérer les volontés d’action en termes d’Aménagement, de Mercatique et de Rôle social de l’Equitation itinérante et de traduire géographiquement les tendances prévisibles de développement en France et dans certains pays significatifs…en pensant à l’horizon 2020, échéance raisonnable pour nous permettre de vérifier ou d’infirmer les propos. Les incertitudes liées aux évènements du Moyen-Orient, particulièrement les évènements du 11 septembre 2001, la Guerre en Afghanistan et la crise Irakienne de 2003 ont à la fois apporté des éléments d’observation intéressants des relations entre sports et politique mais semblent augurer une itération d’incertitudes qui font du monde du début du XXIème siècle un monde caractérisé effectivement par l’Incertitude. La prise de conscience écologique des changements climatique exacerbée par la tempête du passage à l’An 2000 et par la canicule de l’été 2003 appellent aussi à la prudence. 2004, année de clôture de cette thèse était une année olympique. Athènes a retrouvé en Août les athlètes du monde entier et l’on mesure le chemin parcouru par les sports en un siècle et depuis l’Antiquité. La France avait affiché la modeste prétention «d’une médaille au moins» en équitation, ses résultats internationaux aux plus récents championnats pouvaient lui faire espérer plus. L’endurance n’aura pas été invitée. L’échéance de Pékin en 2008 et la candidature de Paris pour 2012 étaient omniprésentes dans les esprits dirigeants. Le Championnat du monde d’endurance senior aux Emirats Arabes Unis et celui des juniors à Bahrein illustrent des changements en cours, mais cette thèse devra se conclure sans prédiction. En effet, la «glorieuse incertitude» est ce qui fait le charme du sport. Sans cette incertitude de résultat, le sport perd son émotion. Heureusement, un géographe, lui aussi, est incapable de prévoir l’avenir avec certitude, la contribution finale de cette thèse sera donc simplement de proposer une prospective dans un monde qui change. Malgré ces réserves, il nous a semblé utile à la réflexion et à l’action, de proposer des scénarii pour l’Equitation hors stade. L’avenir réel de l’automobile, non plus, n’est pas assuré au XXIème siècle : les modes de déplacements nouveaux naîtront des inventions nouvelles, dans un monde relié par les réseaux informatisés. Il sera «religieux», au sens profane du terme, propice aux liens. I - Le plan L’approche systémique a eu l’avantage de satisfaire la curiosité et la compréhension du chercheur quant aux flux de chevaux, de cavaliers, de savoir-faire qui ont traversé les champs de l’équitation à travers l’Histoire et l’Espace-Temps. Elle a eu comme inconvénient d’apporter une surabondance d’informations, transdisciplinaires, desquelles il a fallu soutirer un sens. Il nous est apparu assez tôt que la question centrale était celle de la transmission* intersociétale et intergénérationnelle d’une pratique structurante de l’humanité. L’approche diachronique a permis de situer le bilan de l’Equitation hors stade française à la charnière des deux millénaires. L’approche synchronique a permis de situer cette équitation par rapport aux autres pratiques équestres en France. Les principaux phénomènes émergents observés dans la société française considérée comme moderne ont aussi permis d’envisager des scénarii pour l’avenir de l’équitation itinérante française, installée dans un système mondialisé et globalisé. Finalement, la transmission d’une activité plurimillénaire interpelle sur le devenir des sociétés humaines, sur leurs chocs ou leurs coalescences pour entretenir les spirales de l’évolution de l’humanité, les hominescences de Michel Serre pour ce qu’il semble convenu d’appeler le développement durable.
La première partie, LES MUTATIONS DU MODELE FRANCAIS, essaie de rechercher sur le temps long, la vitalité de la civilisation du cheval dans l’activité et l’imaginaire de l’homme, en France, et pour les citoyens français avant le XXIème siècle. Véhicule de «domination» de l’homme par l’homme, le cheval a donné naissance à des territoires administrés mais cette domination a été récemment contestée par les engins automobiles : la promiscuité des deux véhicules pose de nombreux problèmes, depuis un siècle.
La seconde partie, LES COALESCENCES DU MODELE FRANCAIS permet d’observer dans une société moderne, celle de la France, un anachronisme par rapport aux lois classiques de l’économie progressiste, marxiste ou libérale. L’équitation, obsolète sur le plan militaire et utilitaire perdure et même se développe malgré la fin de la traction animale. Les liants, signes extérieurs de reconnaissance, les liens, c’est à dire les règles de fonctionnement, et les lieux de pratiques de l’équitation hors stade sont en pleine mutation. La posmodernité emprunte à la tradition et à la modernité pour développer un nouveau modèle, coalescent.
La troisième partie, L’ENJEU DU DEVELOPPEMENT DURABLE doit apporter des pistes pour le développement de l’équitation hors stade pendant les premières décades du siècle. Ces pistes doivent avoir un sens, celui du développement durable. Nous avons observé plusieurs directions dans le modèle français qui infléchissent la domination masculine*, le parisianisme, le bellicisme. Projetés dans le système monde, ces phénomènes peuvent aussi s’épanouir, la question de la coalescence des sociétés orientales et occidentales nous a semblée pertinente. A travers la résurgence de l’Endurance équestre en France, c’est le «grandir ensemble même si on n’est pas pareil» qui peut être constaté. C’est un processus qui était pressenti par Michel de Montaigne, cavalier de la Renaissance, «européen», au sortir des guerres de Religions* en France, au XVIème siècle. Quatre siècles plus tard, alors que le champ de l’Equitation s’est élargi au système monde, la problématique de la coalescence des sociétés n’est pas très éloignée de celle qui a divisé les français avant que Henri IV (1553-1610) premier des rois Bourbons, contemporain de Montaigne (1533-1592), ne rende l’Edit de Nantes le 15 avril 1598 «afin de régler la condition légale de l’Eglise réformée en France». Toujours entre deux guerres, les sociétés peuvent-elles trouver en certaines pratiques, comme l’équitation, une culture commune susceptible de substituer à la guerre un peu plus de compréhension entre les peuples et les nations et de donner un nouveau sens, par retournement des dominations, à un mode de déplacement humain qui a longtemps véhiculé la guerre ? |
(2) - DEBRAY, Régis, Truismes, Les Cahiers de médiologie 12, 2e semestre 2001, p. 25-34.
(3) - «Partout où l’homme a posé son pied dans la longue ascension vers la civilisation, on trouve l’empreinte du cheval à ses côtés».
(4) - LEVY, Jacques, La Géographie pour comprendre les sociétés, Sciences humaines n°22, Décembre 2000.
(5) - VERNE, Jules, De la Terre à la Lune, 1865.
(6) - HERGE, Objectif Lune, On a marché sur la lune,Casterman,1953, 1954.
(7) - LEVY, Jacques, La géographie pour comprendre les sociétés, Sciences Humaines n° 122, décembre 2000.
(8) - SLIM, Saidi Mouneim, Evolution d’une pelouse post-ovine sous l’effet du pâturage du cheval Prjevalski, sous la dir. de Charles BLANC, Montpellier 3, 1994.
(9) - ENE, «Saumur, la doctrine», colloque des 4 et 5 juin 2004.
(10) - LIESENS, Léonard, Endurance-world, n°2, novembre 2002.
(11) - Sciences humaines n°122, décembre 2001.
(12) - «C’était parfait à plusieurs titres» : «En Endurance, le général, Sheikh Mohamed bin Rashid Al Maktoum, Prince héritier de Dubaï et Ministre de la Défense des EAU est devenu Champion d’Europe.»
(13) - ROGGERO, Claude, Sport et désir de guerre, L’Harmattan,Condé-sur-Noireau, 2001, p.53.
(14) - Sport et Politique,Géopolitique n°66, juillet 1999.
(15) - AUGUSTIN, Jean-Pierre, Géographie et Aménagement, Nathan Université, Noisy-le-Grand, 1995, p.11.
(16) - JUSSERAND, J-J, Les sports et jeux d’exercices dans l’ancienne France, Champion-Slatkine, 1986, p199.
(17) - ROBERT, Muriel, Le cheval : de l’agriculture au tourisme. Le tourisme équestre en Basse-Normandie. Etude d’un système spatial. Thèse de doctorat sous la direction de Roger Calmes. Université de Caen, 1994.
(18) - RIVIERE, Rafaële, Le Tourisme Equestre, Contribution à une recherche sur les potentialités et les difficultés d’une profession de loisirs en espace rural.Thèse de doctorat sous la direction d’Alain Lefebvre, Université Toulouse Mirail, UFR de Géographie et Aménagement, 1995, 500p.
Hervé MENAGER, ADES, UMR 5185 du CNRS, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III
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