Maquignon, Maquignonnage - Nourriture, soins - La mise en scène
Maquignon, maquignonnage. - Termes désignant les marchands et le commerce de chevaux. Ils sont le plus souvent employés, dans la langue courante, avec un sens péjoratif, et cela s'explique par la multiplicité ingénieuse des truquages que pratiquent une minorité de trafiquants sans scrupules, courant les foires aussi bien que les plus riches tattersalls pour écouler fort cher, au prix d'un savant maquillage, des chevaux rétifs, vicieux ou tarés. (Bien que les termes de maquignon et de maquignonnage doivent s'entendre spécialement des vendeurs de chevaux, on les applique aussi aux marchands de boeufs qui font usage des mêmes procédés de maquillage.)
Quels sont les chevaux maquillables. - Ce sont, en général, ceux qui ont dépassé la deuxième année, car un jeune cheval de valeur expose le vendeur à des risques onéreux si son maquillage est raté. Les risques pécuniaires sont, au contraire, beaucoup moindres avec le cheval fatigué, ou trop vieux. Il est à remarquer que, si l'on rajeunit le vieux bidet, on vieillit également le jeune trotteur. Le cheval idéal pour le maquignon est le "beau voleur" de dix a douze ans, celui qui, sans qualités ni défauts, tient haut la tête et la queue, dont les tares ne nuisent pas à la vente, et qui séduit presque toujours l'amateur peu documenté. En principe, défiez-vous donc du "beau voleur". Nourriture, toilette, écuries, personnel. - Pendant son court passage dans les écuries du marchand, le cheval sera nourri avec un mélange d'avoine et de son, saupoudré de gros sel, donné en cinq on six petits repas. La paille sera presque toujours laissée à discrétion. Très peu de foin, qui fait grossir le ventre, et un peu d'arsenic, qui active le travail des voies respiratoires et donne du brillant au poil ; toujours de l'eau bien aérée, jamais froide, et, en deux semaines, grâce également à un soigneux pansage, aidé de la couverture, le cheval fatigué aura repris la mine et le poil du fougueux étalon. La toilette joue le premier rôle dans la présentation du cheval. Elle porte surtout sur la crinière, la queue et les paturons. La crinière coupée ras donne à l'encolure une élégance de ligne qui fait paraître léger le plus mastoc des limoniers. Quand la tête est massive, on coupe les poils des oreilles, on égalise ceux de la barbe, on brûle ceux des joues. Pour allonger l'arrière-train, on trousse la queue chez le cheval de trait, et on la coupe à l'anglaise chez le cheval de selle. Cette réduction donne plus de distinction à l'arrière-train et allonge un cheval trapu. Par contre, un cheval à croupe droite gagne à posséder une queue piaulée haut et légèrement arrondie. La queue de rat, "le cheval à queue de rat n'a jamais laissé son maître dans l'embarras" étant désagréable à l'oeil, on la couvre d'une queue postiche. Il faut toujours faire dénouer toute queue troussée lorsqu'on examine un cheval en vente. Un fin paturon fait ressortir la force du boulet. Si le client se figure (à tort, d'ailleurs) que la finesse des membres est un signe de vitesse, le maquignon fait tailler le poil, du genou au sabot. Les écuries tiennent, elles aussi, un grand rôle dans la vente. Leur élégance faisant valoir la marchandise, il est naturel qu'elles soient claires, spacieuses et bien aérées, avec des stalles larges et en pente (pour dégager le garrot), une litière épaisse, bien troussée, et l'allée large, afin que le client, s'y trouvant en pleine sécurité, soit mieux disposé à l'achat. Les robes sont alternées, ce qui les met mutuellement en valeur. Un très joli cheval est toujours placé dès l'entrée, les noirs et les bai foncé dans les parties les mieux éclairées. Les autres sont, en outre, installés par rang de taille, en commençant par les petits, afin que l'oeil du visiteur suive - gradation flatteuse. Le personnel est rigoureusement stylé. Les bons "garçons marchands de chevaux", appelés à jouer constamment le rôle de compères, doivent être intelligents, adroits et dénués... de vains scrupules. De même que les chevaux ont tous le beau licol blanc qui, par contraste, fait ressortir l'élégance d'une tête lourde, de même le valet d'écurie n'est jamais vu sans sa chambrière, dont il joue avec une discrète, mais incessante activité.
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Le maniement de la chambrière demande du doigté, afin de stimuler le cheval roué de coups par avance, sans l'affoler, de le faire paraître en beauté sans provoquer sa fureur, il n'est d'ailleurs pas toujours utile de le frapper; le claquement suffit, précédé de quelques appels de langue ; car, dans le dressage spécial de l'écurie, ces préliminaires ont été suivis du complément, les coups cinglants sous le ventre sur les jarrets. Il s'ensuit donc que, lorsque le client visite l'écurie, toujours accompagné du valet à chambrière, celui-ci lance des appels de langue qui font dresser les têtes dans un joli mouvement. Un petit coup machinal, sans en avoir l'air, fait ranger une croupe, déplacer un avant-main ; mais toutes les bêtes sont sur le qui-vive, et les plus molles, elles-mêmes, ont l'apparence des plus fougueuses. La montre ; la mise en scène. - La "montre" débute à l'écurie ! Si l'acheteur manifeste le désir de voir de près un cheval qui lui a plu. un garçon se porte à la tête de l'animal et le détache pendant qu'un autre fait descendre la couverture en lissant le poil. On sort le cheval de la stalle et, en lui tenant la tête haute, on lui passe négligemment la main sur le dos, ce qui l'oblige à se "camper", Entre parenth�ses, le � camper n'est pas toujours avantageux, quoiqu'il relève les dos mous et corrige les ventres tombants. La loquacité du vendeur étourdit un instant le client et, pendant que valets sortent le cheval, le patron conduit l'acheteur dans une cour préparée. Chemin faisant, il s'efforce de lui faire croire que tous ses chevaux poss�dent les qualités qu'il désire. L'acheteur préfère-t-il un cheval de fond, négligeant un peu l'allure ? Comme vous avez bien raison ! - répond le vendeur. - C'est l'habitude de la maison. Des chevaux de fond, toujours du fond. C'est plus sûr ; et je préfère le fond à la beauté, etc. Le client recherche-t-il l'élégance, la vitesse ? Le langage du marchand diffèrera ainsi qu'il convient. On amène ensuite le cheval devant un mur blanchi à la chaux, qui fait bien ressortir son relief, et on le place, l'avant-main en hauteur, sur un tertre. L'acheteur et le marchand se tenant devant, sur un plan inférieur, en contrebas, le cheval parait grandi; sa ligne de dos prend de la pureté et son arrière-main de la robustesse. Le cheval est toujours présenté du côté où il parait le plus avantageux, généralement du côté opposé à la crinière, ce qui dégage l'encolure. Dans cette opération, tout le personnel est sur pied ; chacun a sa place définie, sa chambrière, ses fonctions bien réglées. Un valet stimule la bête au départ, un autre au retour, un troisième fait claquer sa chambrière, un quatrième imite des roulements de tambour une gouttière, etc. Pendant ce temps, le marchand et son piqueur accaparent l'attention de l'acheteur, font valoir la bête qui trotte sur piste gazonnée, et tous, à l'aide d'un argot spécial, agissent selon l'ordre du patron. On a l'air de se conformer aux désirs du client, mais on le fait de telle façon que celui-ci n'aperçoit que les qualités du cheval. C'est là le summum de l'art.
Il va sans dire que les procédés changent avec le client, qui ne s'en laisse pas toujours imposer; mais le marchand, devinant tout de suite à qui il a affaire, trouvera toujours une défaite habile, gagnera du temps, et dira qu'il attend un convoi. En réalité, il n'attend aucun convoi, mais il se documente sur l'acheteur, prépare un cheval ou s'arrange avec un confrère. Faute de cheval résumant le type demandé, souvent il représente le même auquel il a fait subir quelques maquillages et, si le client se récrie disant qu'il reconnaît l'animal, il répondra : "Cela ne m'étonne pas, il sort de la même ferme que le premier," etc. Et souvent, le client ébranlé se laisse séduire. |
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Source : Dictionnaire Larousse Agricole édition de 1922
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