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En Lozère, les choses vont parfois vite, très vite même lorsqu'elles emboîtent le pas à ces chevaux rompus aux courses sur les chemins les plus ingrats... .
Voici trois ans, qui aurait pu croire que ce département, l'habitude réservé et prudent, se révèlerait comme le plus turbulent du Languedoc dont il occupe pourtant les confins septentrionaux !
Mille kilomètres de pistes et une dizaine de gîtes ouverts en 1969.
Un premier rallye la même annee, suivi de sept autres organises par le Parc National des Cevennes.
Arrivée des premiers chevaux de Merens - ces petits poneys noirs de l'Ariège - chez les agriculteurs des Cévennes en 1974. Toujours en 1974, achat d'un étalon pur sang arabe pour la monte publique, auquel s'ajoutera l'année suivante un second étalon.
En 1975, expérimentation d'une épreuve d'endurance équestre : 120 km de granite et de calcaire avec des dénivelés de 1000 mètres.
Puis, non sans risques, le lancement par un Comité animé par la Chambre d'Agriculture, d'une foire aux chevaux à Florac, la plus petite sous-préfecture de France, et à laquelle vient s'incorporer l'épreuve d'endurance corrigée et développée.
Les sceptiques ne manquaient certes pas pour vouer cette dernière entreprise à l'échec. Leurs raisons n'étaient pas sans fondement : manque de finances, moyens humains limités, période mal choisie, principes adoptés trop hardis... Mais les promoteurs reçurent ces critiques comme des défis et, piqués au vif, bousculèrent les obstacles.
Avec attention, les courses d'endurance de Rodez, d'Armorique, (malheureusement annulée) et des Etats-Unis étaient suivies, décortiquées, analysées. L'entraÏnement des chevaux faisant surtout l'objet d'études particulières.
Il n'existe hélas, pas encore en Lozère le "heval du pays", c'est-à-dire ce croisement obtenu par le pur sang arabe avec la jumenterie locale, élevé sur place, aguerri par la pratique de la randonnée sur des sols arides, aux pentes impressionnantes, et vivant habituellement entre 500 et 1500 mètres d'altitude. Il a donc fallu concevoir une épreuve qui puisse démontrer ces qualités de résistance, mais qui pour l'instant soit appliquée aux reproducteurs et aux chevaux d'origines diverses de Lozère. Ces indigènes seront bien entendu confrontés avec les meilleurs champions des courses similaires, l'opération - pour être valable - ne devant en aucun cas se dérouler en vase clos.
Tout en restant le fait de bénévoles, de petits groupes de travail se constituent en fonction des disponibilités. Une équipe se charge de rechercher la piste: 115 kilomètres qu'il faudra baliser - avec l'autorisation des propriétaires - (et Dieu sait si la propriété est morcelée en Lozère !), équiper des postes de contrôle à des endroits accessibles, lui donner un dénivelé sélectif.
Une autre prépare l'accueil des cavaliers, monte des tentes qui abriteront 38 boxes - soit 700 barres de bois à assembler -.
Une troisième organise un stage de préparation à l''preuve qui allie l'entraînement physique du cavalier à celui du cheval, et inculque aux futurs concurrents les principes d'économie de l'effort, de la récupération du souffle, de l'équilibre alimentaire.
Une autre prépare les documents, les règlements, et recrute jury et les vétérinaires.
Tout cela fait beaucoup de monde, allez-vous dire! Pensez-vous ! C''tait souvent les mêmes qui se partageaient d'une équipe à l'autre, et il n'y a jamais eu plus de six personnes au total...
Voyons maintenant le terrain : comme à la guerre, c'est lui qui façonne la tactique...
Quatre tronçons. Un premier part de FLORAC, suit une ancienne voie ferrée désaffectée, puis grimpe par un étroit vallon sur BARRE DES CEVENNES, qui marque la ligne de séparation des eaux entre Atlantique et Méditerranée. Première halte à l'entrée du village derrière le Monument aux morts (sans rapport avec le sujet !). De l'eau, un peu d'herbe tendre, de l'espace sous les arbres et du calme.
De là, les cavaliers, sur un plateau calcaire suivant la Corniche des Cévennes, passeront par l'HOSPITALET, sanctuaire du protestantisme, puis basculeront sur le versant nord-est vers le pied du MONT-AIGOUAL, d'où ils suivront une petite route sinueuse, prolongée par un sentier de Grande Randonnée, qui les élèvera jusqu'à CABRILLAC (1194 m d'altitude)... De là, ils redescendront vers MEYRUEIS. Arrêt de 30 minutes pour le deuxième contrôle.
Pendant la pause, les cavaliers lèveront les yeux en direction du rebord du Causse Méjean qui les domine. C'est là haut qu'il faut monter! En avant!
Mais une fois sur le Causse, c'est la "Charge héroïque"... Quarante kilomètres de terrain, qui sans être plat ne présente que des éminences émoussées. Traversé de part en part, le Causse s'ouvre sur l'entrée béante des Gorges du Tarn.
A QUEZAC, les concurrents traverseront un petit pont roman, pour s'arrêter enfin au Camping d'ISPAGNAC. La dernière halte avant le sprint final.
ISPAGNAC - FLORAC. Une étroite piste sous les châtaigniers, le Tarn à vos pieds, et droit devant, la vallée qui se resserre avec, blottie au fond, la petite sous-préfecture, terme de l'équipée !
Huit cents balises, constituées par des triangles de plastique souple, sont posées sur des arbres ou des piquets, afin de matérialiser le chemin à suivre.
Pour faire vivre tout cela, il ne manque plus que les cavaliers.
Samedi 2 Octobre. Tandis que la Foire de Florac fait vibrer la ville assoupie, les cavaliers arrivent. Un peu à l'écart du concours de poulinières, pour être plus au calme, on conduit les montures dans les boxes numérotés. Pendant ce temps, les futurs champions se mêlent au public et vont admirer, étalons arabes, juments, poulains, poneys et Merens, dont c'est le jour de gloire.
A 19 H, après la visite préliminaire des chevaux par les Services Vétérinaires, une courte conférence se déroule dans la grande salle du Château de Florac, pour présenter officiellement l'épreuve.
Dimanche 3 Octobre à 6 H 30. Avec moins de 30 secondes de retard, le départ est donné... C'est un peu la cohue-. Certains à pied, d'autres déjà en selle, au pas ou au trot, la colonne est déjà bien étirée !
Stupeur... Tout de suite la vitesse des cavaliers de tête dépasse les prévisions. Vont-ils claquer leur monture? Les Commissaires volants brûlent les étapes, et foncent en avant pour précéder les cavaliers, et alerter les contrôles. L'un d'eux s'embourbe dans un champ, plante là sa voiture, court ouvrir une barrière lorsqu'au galop les premiers concurrents arrivent.
Pendant les 45 minutes d'arrêt à BARRE DES CEVENNES, on remet un peu d'ordre dans le dispositif. Les premiers abandons sont signalés, localisés. Le plan de secours se met en oeuvre - il essaye tout au moins ! -
Le départ de Barre ne se fait pas dans de bonnes conditions. Le jour s'est levé, il ne pleut pas, mais un épais brouillard rampe dans la région de l'Hospitalet, et c'est grâce à l'amabilité d'un spectateur qui précède la cavalerie avec sa voiture tous feux (et warning) allumés, que le groupe de tête arrive jusqu'à la piste sans se perdre.
Essayant de précéder le peloton de tête, un poste de commandement mobile se déplace vers le Col des Salides... Il arrivera trop tard. Une nouvelle fois, les chevaux seront allés plus vite que les voitures ! Quel pays ces Cévennes !
Il fait un soleil splendide lorsque les plus rapides passent devant le drapeau rose qui précède d'un kilomètre l'arrivée à MEYRUEIS. Les vétérinaires, stéthoscope sur la poitrine, vont de l'un à l'autre.
Trente minutes, c'est vite passé ! En fonction de l'ordre d'arrivée, les concurrents repartent en direction du Causse. La grimpée est dure: sous un ciel très bleu, les silhouettes penchées des cavaliers se profilent sur fond de calcaire crayeux. Puis arrive le rebord du Causse, et droit devant, sa provocante platitude. On aurait plaisir à deviner à quoi peut penser un concurrent... Se prend-il pour d'Artagnan courant après les, bijoux de la reine, ou pour Michel Strogoff porteur du message du tsar...
Comme un large ruban d'argent, le Tarn roule au fond du vallon d'Ispagnac. D'en haut, on peut bien le voir, mais la descente est rude. On appelle cela un "casse-pattes". Alors regardons où nous posons les pieds.
A Florac maintenant c'est l'attente... On prévoyait l'arrivée vers 17 H et il n'est que 14 H ! Le voilà! Droit, mince, la poitrine recouverte du dossard rouge portant le numéro 13 en blanc, le vainqueur se présente .au petit galop! Les aiguilles des montres s'immobilisent un instant. On entour le cavalier, on flatte le cheval, et quelle joie chez les lozériens, car c'est lui: PERSIK, l'étalon arabe que tous les éleveurs connaissent, qui est là.
Le héros, M. Jean-Marie FABRE (Mr J.M. Fabre est garde moniteur au Parc National des Cévennes), est félicité, porté en triomphe. Modeste et chevaleresque, il va s'excuser auprès du second. Alors, bravo. Bravo pour cette étonnante démonstration, d'avoir parcouru 115 km difficiles en 6 H 15 pour le premier, 6 H 29 pour le second, mais aussi bravo à tous les autres qui ont su tenir - non plus pour une coupe et un premier prix - mais pour eux-mêmes, pour se mesurer avec l'inhabituel, braver la routine et s'extraire de la masse anonyme qui ne fait rien. |
Sources : archives de D. Letartre